vendredi 17 mars 2023

Finlande, depuis 20 ans le niveau scolaire n'y cesse de baisser : immigration et réforme pédagogique

Les écoles finlandaises étaient autrefois les meilleures du monde. Leurs élèves arrivaient en tête des comparaisons internationales. Or, depuis 20 ans, leur niveau ne cesse de baisser. Article de Die Welt (Allemagne). Notons ici que, dès 2009, une chercheuse comme Nathalie Bulle prévenait que les traits du système finlandais que copie l’étranger n’expliquent pas le succès finlandais, ils sont au contraire source de problèmes.

Il y a des constats que les politiques peuvent difficilement enjoliver. « Nous ne sommes plus le pays proposant la meilleure éducation. Nos jeunes ne sont plus les plus intelligents. » C’est en ces termes qu’Anita Lehikoinen, secrétaire d’État au ministère finlandais de l’Éducation, a commenté les résultats d’une étude menée par son ministère. Par cet aveu, la femme politique a alimenté dans son pays un débat houleux sur les problèmes des écoles finlandaises.

Les élèves de l’école de Laakavuori (de gauche à droite) Ida, Abdullah, Johanna, Jenna et Eppu avec leur professeur Riku Viitanen.


Pour les observateurs allemands, la discussion a de quoi surprendre. Ici et ailleurs dans le monde, le système scolaire finlandais est toujours considéré comme l’un des meilleurs au monde, voire le meilleur, une renommée due aux excellents résultats obtenus par les élèves finlandais dans le cadre de l’étude comparative PISA de l’OCDE.

Pointant les résultats médiocres des élèves allemands, la première publication de la comparaison internationale fin 2001 avait déclenché de vives discussions en Allemagne et abouti à des réformes dans certains Länder. Ici comme ailleurs, la Finlande était considérée comme le « grand vainqueur » de l’étude comparative PISA. Les élèves y avaient obtenu des résultats supérieurs à la moyenne internationale en lecture, en écriture et en calcul. Les années qui ont suivi, des experts en éducation issus du monde entier ont afflué sur place afin de percer le secret de la réussite des écoles finlandaises.

Pourtant, en Finlande, malgré toute la fierté associée à cette renommée internationale, les écoles sont désormais considérées comme un problème. « Les performances du système scolaire finlandais se dégradent depuis 20 ans, et le déclin s’est accéléré ces dernières années », déclare Jaakko Salo, responsable du secteur de la politique éducative au sein du syndicat finlandais des enseignants OAJ. « On le voit clairement dans les évaluations nationales, mais aussi dans la comparaison internationale PISA. Que ce soit en lecture, en écriture ou en mathématiques, le tableau est le même partout. »

Que les syndicalistes déplorent la situation dans les écoles, il fallait s’y attendre. Or, même les experts internationaux confirment le constat. « La baisse des performances du système scolaire finlandais est flagrante. Cela fait quelques années que nous observons cette tendance dans les données comparatives internationales, et elle concerne tous les domaines de performance », explique Andreas Schleicher. Ce chercheur en éducation coordonne l’étude PISA, une position qui lui a valu le surnom de Mister Pisa.

« Les élèves finlandais ont perdu l’équivalent d’une à deux années scolaires au cours des dernières décennies »

D’après l’étude, le système scolaire finlandais est certes toujours bon, mais il n’est plus excellent. Le baromètre des performances de l’OCDE pour la Finlande indique lui aussi que les écoles finlandaises, autrefois considérées comme des modèles, font face à des problèmes. Ainsi, le niveau moyen de compétence en lecture, en mathématiques et en sciences est en baisse depuis le début du millénaire, et la proportion d’élèves performants en mathématiques et en sciences a fortement diminué au cours des vingt dernières années. En revanche, la proportion d’élèves peu performants ne cesse d’augmenter. Selon des études finlandaises, les élèves finlandais ont perdu l’équivalent d’une à deux années scolaires au cours des dernières décennies.

« Les résultats finlandais de l’étude PISA, qui ont impressionné le monde entier, correspondaient en fait à un coup d’œil dans le rétroviseur et ont donné dès le départ une image erronée de l’état du système scolaire », explique Jaakko Salo. « À l’époque, lorsque les superbes résultats de l’étude PISA ont été publiés juste après le passage au nouveau millénaire, le système scolaire finlandais était déjà sur le déclin. »

Selon l’étude, le groupe d’âge le plus instruit est celui des Finlandais nés en 1978, qui ont terminé leur scolarité au milieu des années 90 et qui ont aujourd’hui 44 ou 45 ans. Les groupes d’âge suivants n’ont plus jamais atteint ce niveau de réussite, précise l’étude.

Avis d’experts : l’immigration a surpris le système scolaire

Les causes du malaise du système éducatif finlandais font depuis longtemps l’objet de discussions parmi les experts. « L’immigration et la diversité croissante de la population scolaire qui en résulte sont clairement une des raisons de la baisse de régime du système scolaire finlandais », déclare Andreas Schleicher, qui coordonne l’étude PISA. Selon lui, après 2015, les pays nordiques ont été encore plus touchés par l’immigration que l’Allemagne. « La migration des réfugiés a pris le système scolaire finlandais par surprise », ajoute Andreas Schleicher. « Il n’avait pas les capacités nécessaires, une réalité à laquelle sont venus s’ajouter des problèmes d’ordre linguistique et un contexte culturel différent. La Finlande a été prise au dépourvu. »

Selon le chercheur en éducation, l’Allemagne doit également prendre cette évolution au sérieux. Le pays est en effet considéré comme mal placé en matière d’intégration scolaire des enfants de migrants. D’après Andreas Schleicher, les politiques allemands responsables de l’éducation pourraient s’inspirer du Canada, de la Norvège et d’autres pays bien cotés. Il met toutefois en garde contre une exagération des attentes. « La Suède était autrefois un modèle, mais les écoles sur place ont été littéralement envahies par les migrants et le système éducatif ne suit plus. » L’Allemagne est également confrontée à ce défi. « Dès que la proportion d’enfants issus de l’immigration atteint 40 ou 45 pour cent, cela devient difficile ; je ne connais aucun pays qui s’en sorte particulièrement bien », déclare Andreas Schleicher. Pour lui, seul le Canada fait un travail fantastique en matière d’intégration scolaire.

Des enseignants dépassés

Autre cause du malaise finlandais, qui fournit un avertissement supplémentaire aux politiques responsables de l’éducation à travers le monde : la réforme ambitieuse et précipitée des programmes scolaires finlandais a déstabilisé les enseignants, qui se sont souvent sentis dépassés. Il y a quelques années, le ministère de l’Éducation a opéré un tournant radical en passant d’un enseignement avec des contenus fixes à un apprentissage orienté sur les transversaux. Les matières scolaires ne sont plus enseignées séparément. Au lieu de cela, les enseignants enseignent des ensembles de thèmes qui sont abordés dans différentes disciplines.

« Le système scolaire finlandais n’était pas correctement préparé à l’apprentissage axé sur la transversalité », explique Andreas Schleicher. Entre-temps, des mesures ont été prises, et les programmes scolaires s’orientent à nouveau davantage vers l’apprentissage traditionnel.

Les données de l’OCDE montrent également que l’égalité des chances dans le système scolaire finlandais a diminué au cours des dernières années — un constat qui doit être particulièrement douloureux pour la Finlande. Les écoles finlandaises ont en effet toujours été saluées pour leur capacité à soutenir les enfants scolairement défavorisés de manière à ce qu’ils puissent rattraper les enfants plus privilégiés. Mais ça aussi, ça a changé. Pourquoi donc ? Parce qu’il y a moins d’argent pour l’éducation. Durant la crise bancaire et économique qu’a connue la Finlande pendant les années 90 et les années qui ont suivi, le gouvernement finlandais a fortement réduit les dépenses consacrées à l’éducation. « Les dépenses en matière d’éducation ont chuté d’un quart et n’ont jamais retrouvé leur niveau d’avant », explique Aleksi Kalenius, conseiller gouvernemental.

Conséquence : les écoles et les communes manquent d’argent pour offrir un soutien personnalisé. « Nous avons maintenant plusieurs enfants qui sortent de l’école primaire en ne sachant ni lire, ni écrire, ni compter », explique Jaakko Salo, expert de l’OAJ. « C’était impensable il y a encore 15 ans. »

Source : Die Welt (traduction Figaro)

Voir aussi

PISA — analyse des résultats de la Finlande (en baisse) et de l’Estonie (1re en Occident)

Plus de travail, moins de bébés ? Carriérisme contre familisme (fécondité des pays nordiques)

Finlande — Fin des matières cloisonnées, bienvenue aux compétences transversales (2015)

À parité de pouvoir d’achat, les enseignants québécois sont déjà mieux payés que ceux de la Finlande 

Les traits du système finlandais que copie l’étranger n’expliquent pas le succès finlandais, ils sont au contraire source de problèmes 

PISA 2018 — les bons résultats de la Suède s'expliqueraient par l'élimination de 11 % de mauvais élèves, surtout immigrés

Suède — La baisse du niveau scolaire en partie imputable à l’immigration ?

Suède — Échec de l’intégration des immigrés, ce n’est pas faute de moyens ou de bons sentiments 

Aucun commentaire: